vendredi 26 novembre 2010

I Love My Tumblr!






Bon, c’est certain désormais, depuis la rentrée de septembre, on est plusieurs à se dire que Facebook Automne 2010 n’est pas le même que celui d’automne 2009 car les gens ne cessent d’évoluer dans leur manière de se comporter ou d’échanger.

Il y a trois ans et demi, peut-être 4, quand je suis arrivé sur FB, je n’avais jamais chatté ou dragué sur le net de ma vie et je n’étais pas du tout intéressé à le faire, à moins de suivre l’exemple d’Ed White et terminer ma vie chez Silverdaddies. J’ai aimé FB instantanément, comme un coup de foudre, parce que FB avait enfin décidé de tourner la page des sites de cul où personne ne se présente avec son vrai nom, sa vraie identité. Pour moi, c’était enfin la réponse à tout ce qui m’énervait sur Internet, ces cons qui ont des pseudos, qui n’ont pas le courage de dire ce qu’ils pensent sur les blogs et signent « Anonyme » par facilité (parfois à des fins politiques en plus, les gros lâches). Tout le monde a décrit ça en long et en large, je ne vais pas m’y mettre, mais je veux dire que pour moi, cette nouvelle franchise était fondamentale. J’ai envie de communiquer avec des vraies personnes, et je n’ai pas envie de draguer un alias ou même de répondre à un commentaire sur mon blog si je vois que c’est quelqu’un qui n’a pas pris la peine de s’identifier.

Au début, c’était magique. Il y avait encore cette impression de découverte d’un club bourgeonnant, rempli de surprises quotidiennes. C’était beaucoup plus international, on pouvait voir d’une manière très transparente les amis des gens que l’on rencontrait (l’affichage était plus simple, avec des icônes de photos plus grandes) et surtout cette rêverie de rencontre vous amenait loin, en Indonésie, en Afrique, aux Emirats Arabes, sur tous les continents quoi. Au niveau gay, je n’ai jamais vu FB sous l’angle de la drague, même si les gens se poquaient sans arrêt (un truc qui a disparu). Je voyais FB comme une vitrine du monde, avec des personnes d’une politesse tellement étonnante, nourrie par une communication universelle. C’était comme si les gens étaient plus polis parce qu’ils se rencontraient pour la première fois.

On le sait, ça a explosé depuis deux ans avec toute une nouvelle culture nourrie par 500 millions de personnes, no less, et ensuite à travers Twitter, et aujourd’hui Tumblr. Il y a eu aussi ce sentiment chaleureux au début sur Craigslist et puis c’est devenu, là aussi, la grande solderie de tout et des corps notamment. Aujourd’hui, à New York, vous pouvez baiser avec un hétéro de 25 ans pour 30 dollars, ce qui est en train de changer beaucoup de choses même dans les relations entre gays et hétéros mais on verra ça un autre jour. Facebook, aujourd’hui, c’est une histoire de promotion. Quand on a 4000 amis, on reçoit une quantité de propositions d’évènements si large que l’on peut la considérer, d’une manière socioculturelle, assez représentative de ce qui se passe, réellement, dans le domaine dans lequel on se trouve.

FB est donc un outil de promo, tout le monde le sait, c’est d’ailleurs pourquoi il y a beaucoup de personnes qui quittent FB aussi. Et chacun a sa raison de quitter FB. Il y a d’abord ceux qui ont fait la grosse connerie d’y être en 2007, les premiers quoi, et qui sont revenus fin 2008 quand ils ont enfin réalisé que non, on va pas pouvoir faire sans FB, quelle conne je suis des fois (suivez mon regard chez Yagg). Il y a celui qui est parti de FB pour revenir 6 mois plus tard avec de nouvelles règles. Il y a aussi celui qui a quitté FB mais qui a fait une dépression comme quand on arrête de fumer. Et il y a tous ceux qui débarquent encore aujourd’hui, ce qui fait que l’on retrouve des personnes perdues depuis 20 ans et que l’on croyait mortes.

Ce qui me fait dire que FB change, c’est quand je vois à quel point les périodes de vacances font office de break. Et à chaque fin des vacances, FB n’est plus le même. Je m’explique. Lors des vacances d’été 2010, j’ai senti que pas mal de gens avaient décroché, ce que font aussi les webzines d’ailleurs, c’est normal. L’été dernier, on était plusieurs à remarquer que les gens avaient tellement été sur FB pendant l’année scolaire (septembre 2009 à juin 2010) que leurs vacances servaient à se déconnecter un peu, passer du temps avec la famille, voyager, lire et même, peut-être, essayer d’être moins devant l’ordinateur.

Et quand ils sont revenus, à la rentrée de septembre, ils n’étaient plus les mêmes. Ils avaient pris des résolutions. Malgré l’instabilité sociale (les grèves, vous vous en rappelez ?) et les affaires (Woerth, anyone ?), FB répondait moins. Je regardais ce que disaient les gens sur leur mur et je voyais que beaucoup n’avaient plus envie d’intervenir. Et puis, au bout d’un an ou deux sur FB, certains s’étaient frittés avec des amis, ou ils voulaient prendre du recul ou ils se demandaient où FB allait. Le film allait bientôt sortir. On ne pouvait plus se mentir et persévérer à croire que l’on faisait partie d’un petit club. La machine nous avait avalés depuis longtemps.

J’aime toujours FB, je ne suis pas prêt d’en partir, c’est un outil de travail indispensable pour moi, surtout vivant à la campagne et n’aimant pas parler au téléphone. Mais je suis un peu tristounet de ne plus y trouver cette communication de 2007-2008, avant que les folles à problème débarquent et commencent à vous faire chier sur ce que vous dites alors que vous, vous n’allez jamais les insulter sur leur mur (là aussi, suivez mon regard).

Du Tumbr ou je meurs!

Tumblr, à côté, c’est comme si l’on redécouvrait la poésie politique de FB du début. Les gens se comportent avec la même politesse que lors du FB old school. Car Tumblr est toujours au stade préliminaire du big bang, quand les gens ont l’impression de faire partie d’un réseau à part, quand le reste du monde ne regarde pas encore ce que vous faites.
Tumblr est une merveille. Je suis né pour ce truc, je crois. Quand on est un admirer comme moi, un peu obsédé par les images depuis toujours, c’est un journal iconographique qui ne cesse de produire du sexe, de l’art, de l’inspiration. Je suis totalement émerveillé par ce que publient les gays sur Tumblr. Si je n’avais pas cette vision de ce qu’ils aiment, si je n’avais pas la preuve tangible de leurs passions, je serais vraiment dans la moquerie, mais là, ils m’impressionnent. Les gays n’ont jamais autant produit d’images qui les décrivent et les définissent. Jamais. Avant, il fallait passer par les artistes gays pour avoir une vision de ce que nous aimions chez nous. Aujourd’hui, c’est le gay lambda qui va faire la plus belle photo de toutes. La manière avec laquelle les gays se montrent sur Tumblr (hors du commerce du cul, ou comment ils se montrent sur les sites de drague) est absolument nouvelle. Bien sûr, il y a beaucoup de sexe et surtout ça, et on voit de tout, du mec bareback au plus gentil/nunuche et plein de films de cul. Mais il y a toute cette génération de kids de 20 ans qui ont élaboré un concept esthétique masculin avec un angle très précis de la beauté masculine.

Il y a des blogs de mémorabilia gay avec des milliers d’images d’archives d’hommes et de revues des années 50 et 60 et même avant. Plein d’images de Playgirl et de revues porno des années 70. Il y a bien sur Androphilia qui déroule sans cesse un tapis d’images qui ont toutes un but idéologique non dit : soit faire connaître des aspects de l’art peu connu, des objets et des sculptures orientales ou de design moderne, mélangé avec des images de porno insolite et des photos d’hommes simplement beaux. Et tout ça dans une perspective de gentillesse absolue, pas du tout comme ces folles américaines qui sont toujours obligées de nous écraser avec leur érudition.

Un de mes préférés est celui d’un kid de 21 ans, Dale Clover, gay et tout, qui poste sans arrêt des images que je veux reprendre. Lui s’est spécialisé dans le skate et tout ce qui tourne autour : les skaters en train de sauter au skate park, en train de parler, en train de fumer, enfin la vie de skater quoi. Avec de temps en temps des photos de cul vraiment bien choisies et des portraits d’hommes. Le tout avec un goût infaillible pour un kid de 21 ans, qui a une justesse constante, déterminée, sans être désagréable non plus.
Il y a Rome is Burning, un de mes Tumblr préférés sur les Blacks, avec une myriade de mecs à poil devant leur glace de salle de bains qui se prennent en photo avec leur iPhone et qui ont des bites tellement belles et des tatouages de dingues qui recouvrent tous leur pecs. Il y a aussi The Adventures of An Endangered Mind, un autre black qui lance des invectives drôles à tout le monde tout en présentant d’autres photos de Blacks superbes, pas dans le genre de la photographie léchée, plutôt des mecs real, ce qui est toujours plus excitant.

Bien sûr, il y a Sissydude, très hipster dans le choix sexuel, pour les gays de 30 ans et plus, drôles, funkys, barbus, avec un twist naturel ou mode.
Il y a Garden qui est un mix de photos entre les mecs naturels et le jardinage ou la vie à la campagne.
Il y a des Tumblr qui n’ont pas d’angle particulier comme Ilikesomuch, Massice Marco, Pollafilia qui sont juste des jumeaux de moi parce qu’on a l’air tout simplement d’aimer les mêmes mecs. Hard & Ruff, c'est pareil, en plus hard.
Dans le genre wild indépendant, il y a Szakall, qui met toujours des images que j’ame, une sorte de Lost And Found sur l’art, les barbes et les vélos (dans cet ordre)/.
Il y a Lovepeaceislam, le Tumbr d’un mec qui ne poste que les plus belles images de l’art musulman, comme pour montrer aux gens que le religion produit des chef d’œuvres et arrêter avec ce délire anti Islam.

Mon idée est de ne pas courir après les nouveaux Tumblr mais plutôt d’évoluer lentement, naturellement. Si je vois que certains ont reblogué une de mes images, je vais voir ce qu’ils font et si ça me plait, je les suis. Tumblr est le plus bel objet de l’image moderne. Il y a Flickr qui est beaucoup plus riche encore (et qui nourrit beaucoup Tumblr), mais les photos sont trop petites et ce n’est pas facile d’utilisation, c’est normal, autrement tout le monde détournerait cette immense banque d’images. Mais Tumblr est beaucoup plus poétique, on picore les images des autres et on prend ce que l’on aime vraiment. Ce déroulé d’image a un rythme et une fluidité, comme quand Androphilia met une série de vases orientaux avec des designs sublimes ou quand il poste une série sur les hommes pakistanais, wow, voilà un truc qui change de ce que l’on nous montre sur ce pays à la télé. Tumblr a aussi pour base le cut-up et l’association d’idées entre les images. On crée des références qui se suivent ou qui s’entrechoquent, c’est du collage dans le sens le plus artistique.

Tumblr est donc le symbole le plus frappant de la popularité de l’image à notre époque. C’est le Youtube de l’image et de la photographie. Avec leurs portables, les gens créent des images inimaginables il y a 20 ans. Par exemple, il y a un grand truc tendance en ce moment chez les gays, ce sont les photos de gays dans la nature. Avant, les portraits d’homosexuels étaient surtout urbains. Les mecs de 20 ou 30 ans sont en train d’imposer des photos qui sont toutes des variantes de promenades dans la nature. Genre, on est 4 ou 5 copains à se promener, et il y a toujours une image d’un visage dans une forêt, ou avec le soleil dans le fond, ou en train de fumer une cigarette sur un chemin de bord de mer. C’est absolument nouveau ! Et ce sont surtout des mecs cool, barbus, no sweat, tranquilles, gentils, sympas. Très loin de l’image habituel du gay qui fait la gueule pour avoir l’air plus sexy. Ces gays sont en train d’élargir au sens propre le décorum de l’image gay et les médias n’ont toujours pas pigé cette immense opportunité de révolution de l’iconographie gay. Ces photos sont gratuites et décrivent cent fois mieux l’évolution visuelle et psychologique de l’homosexualité moderne que ces conneries d’images de modèles de pouffiasses travaillés sur Photoshop qu’on tente de bous faire avaler, de force, comme des oies.
Depuis trop longtemps.

mardi 9 novembre 2010

Le cinéma castré




Encore une histoire toute simple. Comme d’habitude, je passe un week-end à Paris et je vais au cinéma avec mon mari. En général, quand on ne veut pas souffrir, quand on veut vraiment passer un bon moment, on va au MK2 de la Grande Bibliothèque. Mais quand n’a pas envie de se fader la ville, avaler quinze stations de métro, deux changements, la pluie ou le froid, on va à Gambetta.

Et à chaque fois, je me fais avoir. Je suis tellement conne. J’entre dans la salle, on se met dans un coin tranquille ou il n’y a personne qui mange du popcorn avec la bouche ouverte et je suis content d’être au cinéma. Commencent les pubs et on a même de la chance, en ce moment c’est beaucoup moins bête, il y a mêmes des pubs multiraciales pour Microsoft et le Blackberry. Et dès que l’on pénètre dans les bandes annonces des films à venir, il se passe quelque chose.

Le son vient de baisser de 20% au moins. Tout d’un coup. C’était déjà pas fort avant, mais la transition est si brutale qu’on a l’impression d’avoir perdu son audition à cause d’une maladie grave ou pire. Et le souvenir revient. Ah d’accord, c’est le cinéma où les gens ont bridé le son. Déjà ils ont un son numérique DTS, Dolby SR. (c’est marqué sur Internet) mais dans cette salle, il vient de l’écran, comme en 1960. Surtout, on dirait que quelqu’un vient de baisser les curseurs du volume, comme dans les studios d’enregistrement.

C’est le 7ème art, mais plutôt son murmure. Le film commence, c’est Fair Game et le générique s’apparente à un prout qui vient du ciel. Au fur et à mesure que le film avance, le suspense s’effiloche, il n’y a pas de momemtum, c’est comme si le réalisateur et toutes les personnes qui ont travaillé sur le son s’étaient fatigués pour rien. Au lieu de pénétrer dans l’intrigue qui est pourtant très bonne, on est là à sentir que le son est à son minimum, c’est comme une frustration qui vous empêche de vous laisser aller, d’apprécier le film qui vous envahit. On dirait que Naomi Watts parle très doucement en corps 8 s’il vous plait, et Sean Penn, qui passe son temps à gueuler, est aussi révolutionnaire que Tom Hanks.

Vers les deux tiers du film, j’ai déjà un orage noir sur la tête. Je connais l’histoire, j’ai presque envie de sortir. Je suis conscient du comique de la situation, mais je ne trouve pas ça drôle du tout. Je me demande pourquoi les jolis hétéros que j’ai vu dans la salle (et certains sont vraiment des vrais de vrais, pas des bobos du quartier) ne rigolent pas ou ne font pas des remarques quand le vieux qui se lève devant en plein milieu pour aller pisser fait plus de bruit que les explosions tournées pendant la reconstitution de l’invasion en Irak et god knows qu’il y a beaucoup de missiles qui tombent sur ces Arabes.

C’est le cinéma sudued. Moi qui comprends assez bien l’Anglais, il faut que je lise les sous-titres, parfois on perçoit à peine ce que disent les acteurs – et je ne suis pas sourd, je voudrais le mentionner quelque part. Et personne ne dit rien, il n’y a même pas un frémissement d’énervement, on se demande si on a été inclus à notre insu dans une étude scientifique qui consisterait à baisser progressivement le son de la salle pour trouver le point de rupture qui ferait que, enfin, peut-être, mais on peut toujours rêver, quelqu’un se lève et aille à la caisse du cinéma pour dire au patron : « Heu, il y a un problème là, tout le monde s’est endormi car on n’entend rien. Du. Tout. »
Mais personne ne se lève et je suis bloqué à l’intérieur d’une rangée et je n’ai pas envie de déranger trois personnes pour aller faire l’actupien qui s’immole devant le MK2 Gambetta pour que la collectivité bénéficie d’un vrai moment de cinéma. Cet endroit, c’est déjà là où j’avais vu le dernier Star Wars, il y a quelques années, dans une salle qui était plus petite que mon rez-de-chaussée à la campagne et où, tenez-vous bien à l’établi, la lueur du petit panneau rouge de SORTIE DE SECOURS me tapait dans l’œil, plus fort que ce qui venait de l’écran. Star Wars ! Ils sont où les fans de Star Wars pour faire un groupe de protestation sur FB contre la maltraitance du cinéma ?

Et puis c’est quoi cette passivité de cons dans ce pays ? On est en train de regarder un film sur les mensonges de Bush et où Sean Penn exhorte les gens à se soulever, pas seulement quand il y a un nid de poule sur la route, mais pour la justice et quand il sortent du cinéma, il n’y en a pas un pour aller dire gentiment au personnel de ce cinéma qu’il faut apporter un appareil auditif pour comprendre pourquoi l’Irak a été bombardé alors qu’il n’y avait pas d’outils de destruction massive ? Ah, vous préférez regarder la derrière merde d’Ozon ?

Alors, à la fin du film, je suis allé m’acheter du popcorn afin de parler à une des responsables, une femme belle et intelligente, ça se voit tout de suite, à qui j’ai tenu à peu près ce langage : « Heu, bonsoir, on ne vous a jamais dit que le son n’était vraiment pas assez fort ? Non parce que je n’ai pas du tout envie de vous énerver et de prendre le rôle de l’emmerdeur un samedi soir à 22h mais à chaque fois que je viens ici, le son est tellement bas que ça me fout les boules et ça se reproduit à chaque fois et c’est pas normal ». A ce stade, je ne dis même plus ça dans l’espoir que ça change un jour, je parle comme si j’étais dans Brazil. Je suis juste en train d’exprimer un besoin de justice. I need to vent.

Elle me regarde pour savoir si c’est du lard ou du cochon ou si j’ai pas une caméra du Petit Journal derrière moi. Mais elle voit très bien à mon attitude que je suis sérieux comme la mort même si je commence à grignoter mon popcorn pour faire le mec calme. Elle me dit : « C’est vrai, on nous l’a déjà dit, mais on nous a aussi dit que c’était trop fort ».

Oublie. C’est encore un coup des vieux qui aiment leur cinéma atténué. Je sors, il y a 2 bobos pédés qui se disent en se donnant des coups de coude « Ah tu as vu, il a fallu qu’elle aille gueuler encore une fois » et je vois le regard de mon mari qui dit « S’il te plait, ne les tue pas tous ce soir, on et samedi ».

Il y a 15 ans, J’allais à l’UGC Ciné Cité des Halles avec Loïc Prigent et des fois on s’amusait à aller voir un film de nul comme le dernier Chabrol dans une des très grandes salles, bien 300 personnes, pas un siège libre, et au bout de 5 minutes du film, on disait très fort : « QUOI, 5 MINUTES DANS LE FILM ET IL N’Y A PAS D’EXPLOSIONS ??? C’EST QUOI CE FILM FRANÇAIS ? » Et on faisait ça pour leur faire comprendre qu’un film sans explosion au bout de 5 minutes, c’est pas viable quoi. Des fois, je me demande s’il ne faudrait pas programmer Network de Sidney Lumet tous les dimanche soir sur TF1 . La passivité de notre époque. J’aimerais tellement voir des fenêtres s’ouvrir avec des gens qui crient « I'm mad as hell and I won’t take this anymore !!! »

mercredi 3 novembre 2010

Sur la route




Dans de nombreux films, on voit des gens traverser en voiture les étendues de l’Amérique ou d’ailleurs. J’en ai encore vu un hier, « The Private Life of Pippa Lee » dans lequel Rebecca Miller et Keanu Reeves traversent une simili savane du Far West avec un soleil rouge caractéristique. Et à chaque fois, à chaque film, je me demande quand on va enfin voir quelqu’un piler au milieu de la scène et sortir en courant parce qu’il a vu une belle plante sur le côté de la route. C’est le rêve de tous les jardiniers, de s’arrêter pratiquement n’importe où parce qu’une graminée que vous avez remarquée quelques instants auparavant vous intrigue et, tiens, en voilà une qui est juste là sur le côté et vous stoppez illico pour la voir de plus près. C’est une plante que vous n’avez jamais vue, normal, vous êtes loin de la maison et il n’y a personne sur cette route de désert et ce n’est pas comme si vous gêniez la circulation, vous êtes seul et personne n’est dans la voiture à râler parce que c’est la dixième fois que vous faites le coup en une heure.

Vous arrêtez le moteur et vous sortez de la voiture, le regard dirigé vers l’endroit où vous avez vu cette pante et vous descendez dans le fossé pour pénétrer dans le désert. La plante est là, en parfaite santé, c’est une de ces milliers d’espèces qui poussent partout. Elle a attiré votre regard et vous êtes désormais à 50 cm, la tête penchée, pour la voir de plus près. Un gros soupir d’émerveillement. Vous vous agenouillez dans la poussière et les brins d’herbe pour obserser ce qui l’entoure et toucher la base de la terre pour sentir comment sont les racines. S’il y a des fleurs, vous les sentez à tout hasard, s’il y a de jolies feuilles, vous les touchez, doucement. Non, vous ne prenez pas tout de suite votre iPhone pour faire une photo et non, vous twittez encore moins « J’ai trouvé un Chionochloa rubra dans son élément naturel en Nouvelle-Zélande et il y en a plein sur la colline » (140 signes). Vous jubilez plutôt car il fait encore jour et vous avez le temps. En fait, vous êtes venu dans ce coin du monde pour ça.

Car derrière la plante, il y a tout le reste, cette étendue de nature qui se déploie et que vous regardez ensuite à 360°, il n’y a pas de bruit, le vent léger sur les feuilles, à peine, enfin l’air n’est pas statique quoi, et vous êtes le seul à vous arrêter sur cette route. C’est la version jardinage du « Stop the world, I want to get off ! » : je veux descendre de la voiture tout de suite pour voir cette plante ! En plus, il y a des graines partout et comme vous êtes un passionné nerd de dingue, vous avez préparé des petits sacs pour en prendre autant que vous voulez.
Ce genre de descente de voiture peut durer des heures car il y a toujours à 20 mètres une nouvelle plante ou une sous-espèce ou même une autre que vous avez déjà vue mais qui est vraiment en bonne santé, toute belle et solide. Ce sont des plantes complètement sauvages, la plupart vous sont totalement étrangères et vous regardez la terre pour savoir en quoi elle consiste, s’il y a beaucoup de sable ou des cailloux. Bientôt la voiture est très loin et il faut l’arrivée d’un phénomène naturel comme la pluie ou la nuit pour vous faire faire demi-tour, à contre cœur, mais content. Bonne chasse.

Avec tous ces films qui nous ont montré l’intérieur des Etats-Unis et les immenses paysages traversés par les acteurs en voiture ou à cheval, il n’y en a pas un seul ou un personnage se serait arrêté pour cueillir des fleurs. J’ai entendu dire qu’il y a des lois pour interdire aux voitures de s’arrêter sur le bas côté et mon ami Robert m’a raconté que lorsqu’il a traversé un parc célèbre, cet été, la police américaine était très présente et ils ne rigolait pas avec l’idée de pénétrer et donc d’abîmer potentiellement les espaces sauvages. J’espère que ce n’est pas le cas partout. Dans ces road movies, on se demande forcément ce qui se serait passé si Thelma et Louise avaient freiné au bout du premier kilomètre dans une étendue de fleurs comme on en trouve dans le Namaqualand à un moment précis du printemps. Le plus proche, c’est bien sûr « Into the Wild » où Emilie Hirsch sort vraiment de la route pour pénétrer dans l’inconnu, mais toute personne qui s’y connaît savait déjà qu’il finirait très vite sur une plante toxique (elles sont nombreuses) donc on a pas trop adoré cette partie du film. Après tout, c’est une plante qui tue le personnage principal.

Ces road movies ne montrent pas les acteurs pénétrer dans la prairie, la savane ou le désert parce que l’impression moderne, pour tous ceux qui sont nés à la ville et non pas à la ferme, c’est que la nature est dangereuse – et elle l’est. Mais pas au point de redouter de s’arrêter trois heures dans la Garrigue pour regarder de près les plantes merveilleuses et biscornues qui vivent des Corbières à Marseille, par exemple. Dès que ces films montrent des gens qui s’arrêtent quelque part, ça tourne au film d’horreur comme « La Colline a des Yeux » (j’aime le film, ça n’empêche pas). L’idée sous-jacente, c’est qu’il faut conduire d’une traite à travers ces étendue inhabitées et surtout ne pas s’arrêter dans la nature. Si vous sortez de la voiture, vous êtes déjà mort.
Il a souvent été dit que les acteurs du « Projet Blair Witch » n’ont aucune idée de la nature, ce ne sont vraiment pas des castors juniors. Même si l’endroit est hanté, tout le monde devrait savoir que si l’on trouve une rivière, comme c’est le cas dans le film, il suffit de suivre le cours d’eau car il mène toujours quelque part, même si ça prend des jours. Ces kids ne savent pas où sont les étoiles, ils ont tous grandi dans un environnement périurbain et ça donne désormais des amis qui viennent des fois chez moi et qui ne sont pas allés depuis 20 ans dans la forêt (véridique!) et qui, par conséquent, se promènent en caressant négligemment de la main la tête des orties Des orties ! S’il y a bien une plante que tout le monde devrait connaître par cœur, se sont les orties.

Quand je vais quelque part en voyage, j’ai réellement besoin de quitter l’hôtel ou l’endroit où je me trouve pour aller voir les plantes qui poussent au bord de la route ou dans les terrains vagues qui ne sont pas loin. Je fais déjà ça sur la plage en regardant les cailloux. C’est pour ça que j’ai ce problème de plus en plus avec les villes, c’est qu’il n’y a rien à voir de ce côté. Mon rêve serait de passer 15 jours dans une cabane d’un grand ranch où il faut plusieurs heures pour y aller en cheval ou en voiture et rester là, au bord d’une petite rivière, à quadriller tout l’espace autour de la cabane en regardant ce qui pousse.

J’ai un ami qui m’a dit un jour que ce serait une bonne idée de faire la route entre Dallas et Marfa au Texas, tout ça afin de s’arrêter dans toutes les stations d’essence sur le chemin pour regarder les gens et surtout les hommes. Pour finir chez Donal Judd et James Dean. Je trouvais cette idée géniale surtout parce que je savais que j’aurais l’occasion de m’arrêter plusieurs fois sur le bord de la route. Il y a des milliers d’endroits comme ça à travers le monde et même en France et je sais que je ne les ferai pas, ou plus beaucoup, parce que le temps passe vite et il y a des rêves plus urgents à réaliser avant que ce ne soit trop tard. Ce sont des choses qu’il faut faire seul ou avec quelqu’un qui est vraiment passionné par la nature, et il y en a de moins en moins. OK, il y a de plus en plus de monde qui jardine, et c’est formidable. Mais la modernité de la vie a changé l’identité même de la nature. Des événements comme la Course du Rhum sont des hérésies pour moi, une sorte de machination de l’industrie de la mer, qui a toujours un délire de domination économique des océans. Je sais pas pourquoi je dis ça ici, je déteste ce truc de Bretons.

Désormais, des millions de personnes à travers le monde font des randonnées à pied ou à cheval et toute cette immense philosophie acquise n’est représentée par personne, à part, OK, la photographie. Je ne sais pas s’il existe l’équivalent d’un John Muir, mais il doit y en avoir. En tout cas, la prochaine fois que vous prenez la voiture, essayez au moins de regarder ce qui pousse sur le bord de la route (pas d’accident quand même). C’est hallucinant ce qu’on y trouve. On pourrait faire un jardin entier uniquement avec ces plantes. C’est la base botanique de tout.